Je suis tombée amoureuse d’un gangster

Quand Julie rencontre Jean-Jacques, un beau brun ténébreux, elle s’abandonne à la passion de sa vie. Sans savoir qu’elle met le doigt dans un drôle d’engrenage.

« Est-ce que tu as déjà tué quelqu’un ? » lui ai-je demandé, un soir, au creux de l’oreiller. Cette question m’obsédait. « Non, jamais. J’en suis incapable ! » s’exclama-t-il avant de m’enlacer et d’ajouter tout bas : « Je suis un gentil, Julie. » Mais, au fond, même s’il m’avait dit oui, mon amour pour lui semblait prêt à tout pardonner. Je l’avais rencontré quelques mois plus tôt à l’aéroport de Zurich. Je rentrais à Paris, lui partait pour Singapour, « rendre visite à des amis », avait-il précisé. Si j’avais su qu’il y allait probablement pour blanchir de l’argent, j’y aurais peut-être réfléchi à deux fois avant de lui filer mon « 06 ». C’était mieux que dans les films : les éclairs, je les ai vus jaillir de ses grands yeux verts et me transpercer. Bing, d’un coup, envoûtée sur-le-champ ! Je ne savais plus comment me mettre dans mon fauteuil pour ne pas montrer mon trouble. Alors, je souriais comme une débile et le laissais me parler de sa voix caressante. Après, ça a été les longues heures d’attente, scotchée à mon téléphone. J’implorais toutes les divinités pour qu’il me fasse un signe. Et puis j’ai reçu ça : « Je suis à Paris, je t’invite à dîner. » Je ne me suis pas fait prier. J’y suis allée, et notre histoire a commencé. J’avais la sensation que tout chez cet homme avait été créé pour moi.

amour

On sentait l’homme qui avait vécu

Il habitait dans le Sud mais la distance n’était pas un problème. J’y descendais tous les week-ends. Ce qui aurait pu être un souci, c’était son âge, quinze ans de plus que moi, et son travail. Ou plutôt son non-travail. Moi, directrice marketing, je viens d’un milieu très bourgeois, 16e arrondissement de Paris, écoles cathos, parents avocats (!). Dans ma famille, on ne plaisante pas avec le mariage et la réussite. Lui semblait incarner tout le contraire, avec une « coolitude » qui me désarmait. Rien n’était grave avec Jean-Jacques. Parce que oui, en plus, il s’appelait Jean-Jacques… Sur lui, je trouvais ce prénom de vieux délicieux. De toute façon, à mes yeux, tout ce qui émanait de lui était un ravissement. Je n’avais plus aucune objectivité. A 45 ans, il faisait encore des extras dans un bar sur la Côte, prétendait-il. Je trouvais ça génial, et même courageux. En fait, il m’apaisait et m’offrait une autre vision de la vie, plus simple, plus bohème. On sentait l’homme qui avait vécu. Il se dégageait de lui une virilité puissante mais fragile, une épaisseur savoureuse dont je rêvais de percer tous les mystères.

« Moins tu en sauras, mieux ce sera »

Mais, très vite, j’ai commencé à me poser des questions. Je trouvais bizarre qu’il ne gagne pas une fl èche et qu’il ait toujours des liasses de billets dans les poches. Parfois, il demeurait injoignable pendant trois jours, prétextant «  une affaire à régler  ». Il m’invitait dans des restaurants somptueux et roulait dans une Porsche de collection. « Ne me dis pas que c’est grâce à tes pourboires que tu peux t’offrir tout ça ! » ai-je lancé un jour dans la décapotable qui nous menait en Italie. Il me confia avoir hérité d’une tante décédée l’an passé… Je n’en ai pas cru un mot. Je voyais bien qu’il magouillait, checkant ses deux portables. Pourquoi un barman aurait-il eu deux téléphones ? Nous étions trop complices et amoureux pour qu’il continue à me mentir comme ça. A Côme, dans la chambre d’hôtel, il a fini par m’avouer la vérité : « Moins tu en sauras, mieux ce sera. Je ne t’ai rien dit pour te protéger. Et pour ne pas te perdre, parce que je suis fou de toi. » Ensuite, il m’a tout balancé. Sa bande de voyous, les braquages – « Avec une arme ? », demandai-je, pétrifiée. « Oui, avec une arme » –, les rackets, les deals, le blanchiment… Stop ! Je n’ai pas voulu en entendre davantage. Je tombais du quinzième étage. « Mais tu n’es qu’un vieux mafieux véreux ! » lui ai-je craché au visage. Tout se mélangeait, la peur, la déception, la colère. En larmes et après l’avoir copieusement insulté, j’ai pris mon sac et je suis partie. Bien décidée à en fi nir. J’avais oublié un détail : j’étais dingue de lui. Et sa révélation n’ébranlait pas tant que ça mes sentiments, puisque, deux heures après, j’étais de retour. C’était plus fort que moi. Je lui trouvais des excuses : il avait eu une enfance compliquée, avec un père absent et une mère qui s’était démenée pour nourrir ses trois gamins. Peut-être pourrais-je l’aider à retrouver le droit chemin ? Et puis, le fait qu’il me mette dans la confidence n’était-il pas un premier pas vers la rédemption ? Dans tous les cas, c’était une preuve de confiance.

Nous avons passé le weekend terrés et enlacés

Alors notre idylle a continué. Je craignais que ça ne finisse mal, mais c’était impossible pour moi d’arrêter. Je me surprenais à apprécier cet avenir incertain, la frousse, le flirt avec l’illicite. Ça donnait à notre histoire une intensité électrisante. Bien sûr, je me rassurais en me disant que c’était transitoire et que bientôt nous aurions une vie normale. J’y croyais. Souvent, je lui glissais même des o  res de travail (légales). Il me répondait systématiquement : « T’as vu combien c’est payé ? » Concernant les « a  aires », je ne voulais pas savoir ce qu’il trafiquait, et lui se gardait bien de me raconter quoi que ce soit. On se parlait de tout le reste avec une grande écoute et beaucoup de rires. Aux autres, je disais qu’il avait hérité de la fameuse vieille tante marseillaise. Notre histoire durait depuis un an et demi, j’étais heureuse. Mais, un week-end, ce n’est pas lui qui est venu me chercher à la gare. C’était une de ses amies, qui m’a conduite dans un appart’ inconnu en centre-ville. Jean-Jacques m’y attendait, la mine déconfite. Des membres de sa bande venaient d’être mis en examen et écroués pour des braquages… Il était recherché. Le cauchemar. Nous avons passé le weekend terrés et enlacés.

J’ai pris une décision déchirante

Désormais, il fallait faire attention à nos moindres faits et gestes. J’étais sûrement sur écoute, peut-être même suivie depuis un moment. Alors on s’est créé de nouvelles adresses mails pour communiquer, et, les rares fois où l’on se voyait, c’était toujours dans un endroit différent. Je sentais un piège se refermer sur nous. Et puis la police m’a convoquée comme témoin. J’étais morte de trouille. Malgré le chantage et les menaces, j’ai tenu bon. De toute façon, je ne savais rien : Jean-Jacques avait veillé à m’en révéler le moins possible. Je suis sortie de là essorée, avec l’atroce sensation d’être coupable. Je n’en pouvais plus de cette tension permanente. Je n’étais jamais tranquille, toujours à regarder derrière moi et à me demander si j’avais bien pris toutes les précautions… Je devenais complètement parano. Surtout, je me sentais seule, je ne pouvais en parler à personne ! Il fallait que ça s’arrête. J’étais prête à m’enfuir avec lui à l’autre bout de la terre. Mais, pour lui, il n’en était pas question. Il y avait, soi-disant, un code « d’honneur » dans sa bande : « On ne lâche pas ses amis », me dit-il. Deux jours après, il a pourtant été arrêté, dénoncé par l’un de ses amis justement. Il a pris quatre ans ferme. C’était la fin du monde et, en même temps, un soulagement. A sa sortie, j’aurais 36 ans, lui, 51, nous pourrions encore construire une vie ensemble. L’ambiance glauque du parloir allait devenir mon quotidien. Mais lorsque je me suis retrouvée à faire l’amour dans cette chambre conjugale répugnante, où on a été « surpris » par un geôlier mal léché, je me suis dit que, non, je ne voulais pas de ça. J’avais assez donné. Alors j’ai pris une décision déchirante : je l’ai quitté. « Tu as raison, la prison ne te va pas du tout, mon amour », a-t-il simplement répondu. Ça fait un an maintenant. La vie sans lui est un peu fade, et je n’oublierai jamais ces deux années de passion. Mais je me sens libre, et ça n’a pas de prix.

Source: Elle